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 paru dans DIACRTIK le 13 février 2017

https://diacritik.com/2017/02/13/lanesthesie-ou-la-melancolie-contemporaine-par-zelda-colonna-desprats/

L’Anesthésie ou la mélancolie contemporaine

Damien Hirst, Lullaby (détail), 2000. Verre, acier, aluminium, résine et peinture

Au début du siècle dernier, la découverte et le développement des produits anesthésiants sonnent la fin de la douleur physique au cours des interventions incisives. L’anesthésie participe remarquablement à l’évolution des techniques chirurgicales qui sont encore fortement imprécises et dangereuses avant la première guerre mondiale. Les méthodes d’antalgie, dont l’économie serait aujourd’hui impensable quelque soit l’intervention, sont assez récentes : c’est au XIXè siècle qu’ont lieu les premières interventions concluantes sous anesthésie générale à partir des découvertes respectives des savants : Joseph Priestley, Horace Wells, Young Simpson et James Corning.

Auparavant les patients étaient toujours opérés à vif. Les barbiers et chirurgiens utilisaient des moyens pour tenter d’étourdir et de soulager le patient, mais celui-ci était toujours relativement conscient. Afin d’éviter que la douleur dure trop longtemps, les praticiens opéraient alors très rapidement, et administraient aux malades et aux blessés – notamment sur les champs de bataille –, des plantes telles que l’opium, du cannabis ou de la belladone, ou encore ils utilisaient le froid pour engourdir la partie à opérer. L’éminent chirurgien et anatomiste français Alfred Velpeau affirmait que « Vouloir éviter la douleur par des moyens artificiels, est une chimère qu’il n’est plus possible de poursuivre aujourd’hui ». Mais en 1772, un pasteur anglais adepte d’alchimie, Joseph Priestley, découvre le protoxyde d’azote, ou gaz hilarant. Ces recherches sont interrompues car suspectées de sorcellerie. Ce gaz hilarant fera néanmoins ses preuves dans une fête foraine du Connecticut aux USA en 1844. Un dentiste, Horace Wells, assistant à l’attraction montrant un volontaire qui s’était blessé sans avoir souffert, va l’utiliser sur ses patients. C’est une réussite. Un des amis de Wells, Thomas Morton, va mettre au point un inhalateur à base d’éther sulfurique, l’oxyde d’éthyle, et réaliser avec succès une opération sous cette anesthésie en 1846. Wells connaîtra cependant un échec lors d’une démonstration dans un amphithéâtre d’étudiants. Après quelques années à Paris, il testera le chloroforme, utilisé en Angleterre par Young Simpson, et en deviendra dépendant. Il sombrera dans la folie et se suicidera en prison où il avait été écroué après l’agression de deux prostituées à l’acide sulfurique, alors que son invention venait d’être reconnue et qu’il était félicité par l’Académie de médecine de Paris. Mais l’anesthésie va se développer dans le monde entier, et recevra le soutien de la reine Victoria qui, anesthésiée par Young Simpson, accouchera sous chloroforme en 1853 et 1857.

En 1885, James Corning met au point l’anesthésie locale avec la cocaïne. La narcose par voie intraveineuse apparaît en 1932 avec les barbituriques dont le plus connu est le penthotal, produit utilisé comme sérum de vérité.

Il existe aujourd’hui trois familles de produits anesthésiants : les analgésiques, qui atténuent les sensations lors des actes douloureux, les hypnotiques qui provoquent et maintiennent la perte de conscience, et enfin les curares qui bloquent les fonctions neuromusculaires en agissant au niveau de la plaque motrice en s’opposant à la conduction de l’influx nerveux entre le nerf et le muscle, autrement dit en paralysant ces derniers afin d’éviter les mouvements préjudiciables à la chirurgie et faciliter celle-ci. L’utilisation de curares entraîne un arrêt respiratoire par paralysie du diaphragme et des muscles intercostaux, ce qui ne va pas sans exiger une assistance respiratoire pendant la durée de leur effet. A forte dose, ces analgésiques peuvent provoquer un arrêt respiratoire dont les conséquences seront fatales. Les hypnotiques que l’on utilise le plus souvent par voies intraveineuses sont le Propofol ou le Diprivan, ainsi que des opiacés et des curares qui étaient utilisés par des tribus d’Amérique du Sud dans leurs flèches paralysantes, permettant un relâchement musculaire.

La maîtrise de tels produits entraîna, en conséquence, la mise au point d’un grand nombre de produits pharmaceutiques tels les antidouleurs, somnifères ou calmants – et dans les années 50 la découverte des anesthésiants de l’esprit, les psychoanaleptiques ou antidépresseurs.

Ces paradis artificiels de la pharmaceutique ne sont pourtant pas sans conséquences, et les séquelles existent et ne sont pas négligeables pour le patient suite à cette absence volontaire, cette extinction de l’esprit, comme un bouton « off » enclenché, plongeant la personne dans un état proche de la mort. Si cette technique permet de faciliter très considérablement le confort de toutes personnes malades ou souffrantes, certains la considèrent comme le miracle qui a triomphé de la douleur, mais elle implique néanmoins des problématiques de l’ordre de l’éthique.

L‘anesthésie cause la mort du patient dans 1 cas sur 10 000 et nécessite nombre de contre-indications et d’exigences, dont une des moindres est d’être à jeun plusieurs heures avant l’intervention. Cependant, malgré son taux majoritaire de réussite, le choc et les nombreuses contraintes que représente l’anesthésie, sans oublier les règles d’asepsie et les séquelles post opératoires, restent non négligeables pour quiconque en subit l’expérience. Pour les personnes ayant subi une anesthésie générale, nombreux évoquent une perte de conscience totale, comme une parenthèse dans le temps, un sommeil profond et sans rêve dont elles ne gardent aucune trace, aucun souvenir. Un état comparable à la mort qui fait rempart à la douleur et reste néanmoins une atteinte à l’équilibre : « Toute anesthésie, tout remède par généralisation touche quelque part à notre liberté […] l’anesthésie, avec tous ses avantages, n’apporte pas le bonheur. Il n’y a pas d’harmonie préétablie dans le domaine médical et chirurgical », précise Jean-Claude Beaune, philosophe ayant axé ses recherches sur les techniques modernes. Il démontre comment, au-delà des éventuelles séquelles physiques, l’anesthésie peut entraîner un traumatisme psychique : « L’esprit est aussi affecté, même de manière infime. […] Celui qui se réveille doit maintenant composer avec son ombre, ce qui n’est pas toujours facile. Notre époque est encore celle où le remède, qui a quelque chose à voir avec l’anesthésie, quelle que soit son efficience calculée, nous rend plus virtuel, plus abstrait, et sa qualité de drogue plus ou moins dure va dans le même sens ».

Anesthésie, est un terme apparu au XIXè siècle des racines grecs an–, « sans », et esthésie, « sensibilité », le terme définit ainsi la perte de sensation, une dé-sensibilisation des capacités de perception. Elle pourrait nous conduire, d’après ce que stipule Beaune, à des degrés de l’ordre de l’abstraction. Serait-elle alors un privilège à l’étude métaphysique ? Une question à se poser si l’on en reprend la définition selon laquelle la métaphysique « ambitionne de s’élever jusqu’à la connaissance du « suprasensible » », selon Michel Blay, dont l’accès se doit de « passer au-delà de l’existant dans son ensemble ; c’est la trans-scendance. […] l’interrogation qui dépasse l’existant » pour reprendre la définition de Heidegger. Le monde contemporain dépendant de l’anesthésie, répond-t-il à un besoin de refuge dans la sphère métaphysique ? A un retour au suprasensible comme échappatoire à une réalité douloureuse et sans fondement satisfaisant ? Mais encore, quel statut accorder à ce corps anesthésié, privé d’énergie vitale, de réaction, inapte à une quelconque maitrise car plongé dans une mort artificielle ?

Nous allons comprendre comment l’anesthésie aurait recréé un dualisme, différent mais comparable à celui de Descartes – ce dernier aurait ainsi anticipé le corps du XXIè siècle. Et nous allons tenter de démontrer que nous faisons face aujourd’hui à une sorte de climat général de l’anesthésie, à la fois physique mais surtout psychique. Rappelons les taux record de consommation d’antidépresseurs, surtout en France : d’après étude de l’IMS Health publiée dans la revue Science et Avenir du 20 mars 2014, un quart de la population vivrait sous psychotrope. Que traduit cette consommation en masse de ces anesthésiants de l’âme ? Nouveaux paradis artificiels, illusion de bien être, amnésie volontaire, incapacité à affronter la réalité… Autant de termes pour décrire les effets procurés par de tels produits qui fondent une véritable attitude contemporaine, celle de l’anesthésie du corps et de l’esprit.

Avec Aristote, l’âme s’intègre dans un système métaphysique tout en maintenant une unité avec le corps. Suite à la mise au point de l’anesthésie, le monde, ou plutôt l’homme, se scinde de nouveau en deux parties distinctes, en une dualité platonicienne, cartésienne, dessinant la frontière nette entre essence et existence, intelligible et sensible. Le corps n’est plus une enveloppe sacrée mais s’ouvre, se répare, l’organe se greffe, telle une automobile dont la mise en pièce n’aura aucune conséquence sur l’esprit habitant cette carrosserie humaine. L’esprit semble aujourd’hui considéré comme le pilote d’un navire fragile dont la chirurgie connaît et manie la délicate mécanique. Et l’anesthésie a le pouvoir de mettre entre parenthèse une âme afin d’en opérer la matière, réactualisant en conséquence le dualisme de Descartes. Le philosophe stipule dans Principes de philosophie combien il ne reconnaît « aucune différence entre les machines que font les artisans et les divers corps que la nature seule compose. » Et il écrit dans L’Homme : « Je désire, dis-je, que vous considériez que ces fonctions suivent toutes naturellement, en cette machine, de la seule disposition de ses organes, ne plus ne moins que font les mouvements d’une horloge, ou autre automate, de celle de ses contrepoids et de ses roues ; en sorte qu’il ne faut point à leur occasion concevoir en elle aucune âme végétative, ni sensitive, ni aucun autre principe de mouvement et de vie, que son sang et ses esprits, agités par la chaleur du feu qui brûle continuellement dans son cœur, et qui n’est point d’autre nature que tous les feux qui sont dans les corps inanimés ».

Ainsi, en cultivant cette idée d’un corps perçu comme machine, la chirurgie, et son utilisation de l’anesthésie en particulier, a, au fil de son évolution, contribué à une nouvelle vision de notre anatomie. Sa pratique est ambiguë dans la mesure où son action, salvatrice et néanmoins contraignante, tend à nous éloigner d’une certaine maitrise de nos propres corps. Recourir à la chirurgie signifie s’exposer à la passivité la plus totale, c’est accepter de s’abandonner à des mains étrangères et de concevoir l’ouverture de ses chairs. Cette perte absolue de conscience ramène le patient à l’état de simple matière, une matière dépourvue de capacité réactive. Comme une mise à mort artificielle et éphémère qui réduirait le malade à l’état de cadavre vivant. Toutes ces raisons font qu’elle reste une expérience effrayante et délicate. Le dualisme est dans ce cas littéralement expérimenté : l’esprit est écartée de toute conscience, mais le corps reste présent et en état de marche, il est incisé et « réparé » à l’instar d’une complexe mécanique.

Cette scission corps et âme dont – des siècles avant Descartes – Platon, puis la religion, attestèrent la séparation, définirait aujourd’hui la constitution de l’homme. Dans Timée Platon explique comment « la tête est la partie la plus divine » et que le reste du corps n’est que l’accessoire de ce réceptacle de l’esprit : « À la tête, les dieux ont uni, soumis et donné pour serviteur le corps tout entier (Le corps, véhicule la tête). » ce même esprit qui fait partie du monde des Idées, première et suprême réalité « qui a une forme immuable, ce qui naît point et ne périt point, ce qui n’admet jamais en soi aucun élément venu d’ailleurs, ce qui ne se transforme jamais en autre chose, ce qui n’est perceptible ni par la vue ni par un autre sens, ce qu’il est donné à l’intellect seul de contempler. »

Le XIXè siècle a cependant remis en question ce dualisme. Nous en trouvons un exemple chez George Sand qui écrit : « Nous sommes corps et esprit tous ensemble » et particulièrement chez Nietzsche qui confère au corps une valeur supérieure à celle de l’esprit en affirmant dans Ainsi parlait Zarathoustra : « Il y a plus de raison dans ton corps que dans l’essence même de ta sagesse ». C’est à cette même époque cependant que l’anesthésie devient si courante qu’il est dorénavant possible de provoquer l’absence absolue de l’esprit dans un corps vivant. Le dualisme connait un indéniable retour.

Jacques Mateu, chirurgien plasticien à Montpellier, confirme cette théorie dans La Chirurgie esthétique dans un monde d’images et explique que l’émergence de la chirurgie – esthétique en particulier – a créé un nouveau dualisme qui n’est plus celui de Descartes : « La version moderne du dualisme existentiel oppose désormais l’homme à son propre corps, et non plus comme autrefois l’homme et l’esprit au corps. [Le corps] serait désormais un accessoire de notre présence au monde soumis à notre bon vouloir ». Le terme « accessoire » est révélateur de notre approche du corps et de la manière dont nous le considérons, accessoire qui habille l’âme ou la pensée, l’outil métaphysique paré du corps mécanique. Mateu soulève un point important quand il explique que le dualisme traditionnel a pris une nouvelle forme plus individualiste qui détache la personnalité de chacun de sa propriété corporelle. L’unité nietzschéenne est ainsi rejetée au profit d’une volonté individuelle pourvue d’un corps que l’on habite telle une parure de séduction qu’il convient d’embellir ou de modifier telle une garde-robe à faire refleurir à chaque saison ou d’un tableau auquel il faudrait sans arrêt apporter des retouches. Car si le corps se détache de l’esprit et devient pur objet de science, l’anti-métaphysique nietzschéenne échoue dans sa perspective qu’il décrit dans Généalogie de la morale : « C’est encore et toujours sur une croyance métaphysique que repose notre croyance en la science, – nous autres qui cherchons aujourd’hui la connaissance, nous autres sans-dieu et antimétaphysiciens, nous puisons encore notre feu à l’incendie qu’une croyance millénaire a enflammé, cette croyance chrétienne qui était aussi celle de Platon, que Dieu est la vérité, que la vérité est divine… », affirme le philosophe qui a annoncé la mort de Dieu et avec elle le crépuscule des préoccupations métaphysiques. Ce retour à l’immanence, à la suprématie du sensible, du physique au profit du métaphysique, aux sensations du corps comme point de départ de la pensée, est rejeté par les pratiques médicales et psychiatriques. Elles proposent au contraire la mise en sommeil artificiel de la matière corps ou du psychique. Soit un refuge dans le suprasensible grâce à une désensibilisation, au salut des anesthésiants comme le fait parallèlement la croyance religieuse.

Ainsi nous est proposé « le remède » qui « nous rend plus virtuel, plus abstrait » pour reprendre les termes de Jean-Claude Beaune. « Virtuel », « abstrait », des termes qui laissent perplexe quant aux conséquences de l’anesthésie sur son bien-être et son intégrité. La dialectique hégélienne a anticipé cette voie vers l’abstraction. Ce que Hegel nomme l’Idée – qui existe « en soi et pour soi, est aussi le vrai en soi » – se détache de plus en plus de son référent matériel et notre monde contemporain confirme une évolution dans ce vecteur. À l’heure des écrans, de la dématérialisation, le quotidien ne cesse de développer un détachement à l’expérience sensible même, et la volonté de s’éloigner d’un référent réel s’engage avec cela.

Nous préférerions une réalité qui échappe aux sens, au delà de nos représentations, de l’expérience sensible au profit de processus immatériels. Cela ressemblerait à une définition du terme métaphysique.

Notons que ces anesthésies, celle du corps et celle de l’âme, proposent un schéma parallèle mais croisé. Si l’anesthésie chirurgicale rend le corps accessoire et le réduit à l’état de machine, elle en éteint la sensibilisation au profit d’un esprit endormi mais toujours présent. A l’inverse, les psychotropes anesthésient l’outil métaphysique, celui de la pensée, afin de maintenir la matière en état de marche. Comme le refus d’une métaphysique douloureuse en somme. Mais dans les deux cas, une désensibilisation s’opère à l’encontre d’une souffrance. Il est intéressant de noter que certains artistes contemporains semblent, à travers leurs travaux, illustrer ce propos.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Damien Hirst, Lapdancer (détail) Verre, acier, nickel, gomme, instruments chirurgicaux

Et si la chirurgie est fascinante du fait de sa mise en scène singulière, de ce tabou des chairs qu’elle transgresse, chairs vivantes mais ouvertes, et manipulées dans des règles d’un savoir-faire tout particulier, pourquoi Damien Hirst en donne-t-il des visions froides et cauchemardesques ? Ancien employé à la morgue, Hirst démontre un intérêt profond pour le biologique, les atmosphères cliniques et l’utilisation d’organismes vivants. Son travail pourrait se résumer à un cabinet de curiosité du vivant porté au rang d’œuvre d’art. Son travail est une exploration à travers la fragilité de l’existence. Il démontre la beauté biologique, expose la mort et évoque les dépendances, dans un univers à la fois baroque et stérilisé où la chirurgie occupe une place particulièrement importante. En matière de chirurgie, il propose des instruments du bloc cliniquement rangés sous de grosses vitrines en verre telle une exposition d’instrument de torture. Une accumulation suggérant, non sans une volonté de provoquer un certain malaise, la procédure invasive sur un corps patiental au profil définitivement mécanique.

Mais l’artiste britannique propose parallèlement à ce référent à la machinerie corporelle une réflexion quant aux anesthésiant de l’âme. La réalité matérielle devient virtuelle, nous l’avons affirmé, et les esprits collectifs préfèrent l’échappatoire du paradis artificiel des drogues, psychotropes et anesthésie du monde en tout genre, comme le démontre si justement Damien Hirst à travers certaines de ses créations dont une série de quatre vitrines est nommée Lullaby – berceuse en anglais. Ce titre confère aux traitements médicamenteux, et aux psychotropes en particulier, le rôle de berceuse contemporaine, des bonbons pour adulte dont les couleurs sont aussi vives et variées que des confiseries et qui nous plongent dans des états de léthargies artificielles.

La démarche en série de Hirst renvoie avec évidence à la surconsommation d’antidépresseurs. Illustrer cet isolement cérébral et la dépendance aux psychotropes, comme une métaphore de la mélancolie contemporaine. A son instar, Jean-Claude Beaune met en évidence ce syndrome contemporain où la conquête de la non douleur physique a mené à la recherche de la non douleur psychique, de l’anesthésie collective qui se manifeste dans la consommation en masse d’anti-dépresseurs ou autre produits soporifiques qui anesthésient l’esprit. Ce qui, selon le philosophe, « correspond aussi, à l’envers de sa première fonction, à un certains désir de mort symbolique ». Preuve en est de l’incapacité générale à supporter une réalité où chaque être humain est exposé à faire l’expérience de la douleur et de la souffrance.

Ce rejet d’une insoutenable réalité dont les sciences médicales proposent des échappatoires afin de faire face aux catastrophes quotidiennes – aussi bien à l’échelle collective que personnelle – est un fait notoire. L’espèce humaine se défend par un détachement, par une sorte d’anesthésie et d’oubli sélectif permanent. Ne pourrait-on dès lors considérer l’anesthésie comme le paradis artificiel vers où se dirige le contemporain ? Une léthargie certes rebutante, mais qui permettrait de surmonter l’insurmontable. De la douleur de l’incision au mal de vivre.

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